Le
Musée Juif de Berlin par Daniel Libeskind (Film
documentaire sur l’architecture – Arte/rmn).
On
atteint ici à
une rare
épiphanie architecturale. Nous sommes en 1999.
Épiphanie négative, comme Adorno parle de dialectique négative.
Car rien de positif n’en ressort, mais la terrible et précaire
commémoration du comble de l’horreur. Comme
une soustraction fondamentale qui rappelle le mensonge de toute
notion de progrès technique (le génocide juif n’est-il pas le
résultat de deux siècles d’industrialisation?).
Ce qui était peut-être un musée (puisque c’est le titre dont on
l’affuble) est resté longtemps vide, et cela suffisait. Nous ne
sommes pas dans la célébration de la Valeur faite art, comme à la
fondation Guggenheim
de Bilbao par Frank Gehry
(ou
dans ce que fera après Libeskind en systématisant son
expressionnisme), musée
vide aussi, mais qui ne commémore rien, et qui n’a pas besoin
d’œuvres puisqu’il suffit par lui-même à célébrer
la puissance financière de conquête universelle.
Dans
le musée juif, même
le zinc des murs est terne, et Libeskind a prévu qu’il s’oxyde
et s’obscurcisse au fil des années. Loin du rayonnement de Gehry.
Les balafres, cinglant au hasard les parois, n’en seront que plus
saillantes. On descend pour rentrer, et l’espoir d’en sortir –
par le jardin ou
par l’escalier qui, du
sous-sol où on rentre,
remonte dans les salles – est nécessairement déçu. On ne sort
pas de la Shoah, quoi qu’en disent les générations
qui voudraient n’hériter que des « biens » qui les
déresponsabilisent. Et
même quand on a cherché à dissimuler la douleur des salles par des
objets,
des vitrines,
des aménagements muséographiques, ont
subsisté les angles qui nous barrent la vue. Et des colonnes vides
que Libeskind a maintenu malgré les récriminations stupides de
certains investisseurs. La communauté juive permet encore, à
travers la Shoah, d’échapper à la Valeur. Même si, par ailleurs,
la Shoah elle-même a été instrumentalisée par les sionistes. Même
si, du reste, il existe tant de génocides qui sont niés…
Le
Musée Juif de Berlin, enraciné dans les fondements
du bâtiment baroque qui le côtoie, est la manifestation parmi les
plus réussies de l’architecture du XXe siècle, à
sa toute-fin (certains la feront rentrer dans le « post-modernisme »,
ce qui ne serait pas faux), et pourrait
peut-être illustrer l’architecture
du XXIe siècle.
Thinkerview,
Aurélien
Barrau. Parmi les remarques, toutes justes
de l’astrophysicien (mais comme Bégaudeau
et d’autres, il semblerait que ce bon sens critique mâtiné
d’humilité et de scepticisme soit devenu le la
de la pensée, le parangon de la posture
intellectuelle
qui sonne juste),
un détail qui fait écho à des débats fructueux : le
regard vers la Préhistoire, et plus précisément au moment où
l’humain était encore cueilleur-chasseur, avant sa
sédentarisation. Logiquement, ce temps se pose comme un exemple
paradigmatique
où l’humain aurait
vécu
en harmonie avec la nature, prenant là où il y avait
quelque chose à prendre, puis se déplaçant ailleurs sans forcer la
Terre à
donner plus qu’elle n’avait,
la laissant paisiblement
se régénérer. Peu d’empreinte, une sorte d’écoute, une forme
de respect. Barrau, faisant écho à d’autres, balaye ce présupposé
idéaliste : l’humain, même chasseur-cueilleur, bouleverse
fondamentalement l’écosystème où il passe, vit, agit. Mais
à ce constat suit une proposition : prendre en compte cette
donnée irréductible, et mettre en place en conséquence une manière
de vivre. C’est-à-dire
inventer une nouvelle manière de vivre.
Il faudrait développer cette idée : la technologie (qui est
l’ensemble des pratiques et des productions par les « arts »,
technè,
c’est-à-dire des faire et des savoir-faire) doit être dissociée
de l’industrie, comprise comme la production financiarisée de
biens dans un but de croissance économique, et non pas être
condamnée avec elle, dans une perspective de pure barbarie. À vrai
dire, même le mot industrie
pourrait être sauvé (et,
comme
tous les mots,
devrait l’être contre
la récupération capitaliste).
La technologie et l’industrie ainsi redéfinies ne sont plus
seulement « compatibles » avec la « décroissance »,
mais aboutissent nécessairement à la remise en cause de cette
notion de « croissance » jusqu’à l’annihiler. Il ne
s’agit pas de croître – et Barrau ne pense pas, semble-t-il,
autre chose – mais de (trouver et) maintenir un équilibre.
Cet
équilibre
devrait être le critère économique qui remplacerait celui de
croissance.
Concevoir la nature non pas comme un réservoir de ressources, nous
dit Barrau, mais comme l’organisme vivant qu’elle est.
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