Une
lettre de Flaubert à Maupassant, le 19 février 1880 alors qu’on
intente un procès à l’auteur de Au
bord de l’eau :
« Quand
on écrit bien, on a contre soi deux ennemis : 1e le public,
parce que le style le contraint à penser, l’oblige à un travail ;
et 2e le gouvernement, parce qu’il sent en vous une force, et que
le pouvoir n’aime pas un autre pouvoir. Les gouvernements ont beau
changer, monarchie, empire ou république, peu importe ! »
Après
les expérimentations du XXe siècle, le XXIe siècle (mais dès les
années 80 et 90, en fait, à l’heure du néo-libéralisme
triomphant)
honore la prose blanche. Parfois avec bonheur (Annie Ernaux), mais le
plus souvent avec malheur. Je lis – ou essaie de lire Les
Enfants après eux.
Ça commence comme un roman du XIXe. Comme une série télévisée.
Comme une tarte à la crème : on en pâlit dès les premières
lignes : « Debout
sur la berge, Anthony regardait droit devant lui. À
l’aplomb du soleil, les eaux du lac avaient des lourdeurs de
pétrole. Par instants, ce velours se froissait au passage d’une
carpe ou d’un brochet. Le garçon renifla. L’air était chargé
de cette même odeur de vase, de terre plombée de chaleur. Dans son
dos déjà large, juillet avait semé des taches de rousseur. Il ne
portait rien à part un vieux short de foot et une paire de fausses
Ray-Ban. Il faisait une chaleur à crever, mais ça n’expliquait
pas tout. » Du
Maupassant. Même pas. (Maupassant était original alors). Et Proust,
Joyce, Woolf, Simon, Duras, Guibert, et tant d’autres ? Le
pire n’est pas qu’on écrive ce genre de fadaises (les fadaises
peuvent
avoir
des douceurs indicibles), mais qu’on les récompense du plus
prestigieux des prix. Les Goncourt s’en repentiraient, pour
sûr.
Mythologie
des arbres
de Jacques Brosse. Dense. Un peu confus. Le grand Jacques Brosse.
Maître zen (dans ma bibliothèque, à lire, L’Univers
du zen),
élève de Jean Walh, un premier livre (en 1958 – il est mort en
2008) publié préfacé par Bachelard. Le frêne Yggdrasill, pilier
du monde. Poséidon, le dieu du frêne, dieu de la terre avant d’être
celui des mers. Le chêne : de Zeus violant sa mère Rhéa,
épousant Héra (de la même étymologie). Le Robur,
et le gui. Les druides. La
dryade
Egire, de Némi, près de Rome (ai pris une photo d’une statue de
Diane autour du lac volcanique sacré). Et le mythe d’Erysichthon,
chanté
par Ronsard, dans un poème que Brosse cite en partie, que
citera
entièrement
Anselm Jappe dans La
Société autophage.
Le figuier de Dionysos. Pages superbes. Rappelle (mais en moins
brillant, il faut l’avouer, car en moins foisonnant, en moins
ouvert) Approches :
drogues et ivresses,
le dernier ouvrage d’Ernst Jünger, un des plus beaux livres jamais
écrits.
Akira,
film d’animation de Katsuhiro Ôtomo. La vision sans égale des
Japonais. Cherchent à toucher à la source de toute chose, tout en
considérant avec attention les technologies les plus contemporaines.
Le film date de 1988, mais la vision politique est toujours valable,
ce qui est effrayant. Même vision des émeutes, même vision des
répressions. Même millénarisme, même militarisme. Même
acceptation générale (par la représentation banale qu’on en
donne). Le pire n’est pas que rien ne change fondamentalement, mais
que cet immobilisme nécessitera très certainement un changement
dans la violence. Akira
est la vision sans bride de ce changement. Une
orgie imaginative. Qui s’inscrit dans une riche tradition, dont on
ne connaît que des bribes. Les « images flottantes »,
bien sûr. Évoque
par ailleurs
Les
Bébés de la consigne automatique
de Ryu Murakami, qui
date de 1980.
Mais aussi Tetsuo,
de Shin’ya Tsukamoto, sorti en 1989.
Chatterton
de Vigny. Impression
de l’avoir
déjà lu il y a quinze ou vingt ans. Rappel
de ce goût pâteux de pathétisme. D’afféterie sentimentale
exagérée. Mais cette sensiblerie, passablement niaise, ne m’agace
plus tellement aujourd’hui : il faut passer outre la
grossièreté du tableau (comme il faut passer outre toutes les
grossièretés) pour tenter d’accéder à ce qui est
fondamentalement dépaysant, autre.
S’il
y a quelque chose autre…
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