Dans
son adaptation de La
Belle et la Bête,
Jean Cocteau a ce drôle de réflexe de changer « maîtresse »
en « maître » dans cette pourtant très belle réplique
de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont : « Vous êtes le
maître, répondit la Belle en tremblant. — Non, répondit la Bête,
il n’y a ici de maîtresse que vous. » Jean
Marais, lui, répond : « Non, il n’y a ici de maître
que vous. » Et pourquoi donc ?
Du
reste, il n’y a bien que les femmes qu’on prive de leurs prénoms,
qu’on remplace par un titre qui signale infailliblement la
condescendance : Madame de La Fayette, Madame
de Villeneuve,
Madame Leprince de Beaumont, Madame de Sévigné ou encore Madame de
Staël. Qui sait que ces écrivaines et autrices s’appellent
Marie-Madeleine, Gabrielle-Suzanne,
Jeanne-Marie, Marie de Rabutin-Chantal ?
Ce
n’est qu’un symptôme parmi d’autres, beaucoup plus lourds (par
exemple, des
femmes de service me disent que les machines sont réservées à
leurs collègues masculins, alors qu’elles pourraient très bien
les manipuler : qui donne voix à ces gens?).
Chatterton.
Il y a quelque chose d’obscène dans le fait d’écrire une telle
pièce. Impudeur. Comme une complaisance à exposer son intimité. À
s’y vautrer. La scène de l’abnégation est cependant
très
belle. Le reste est sale
d’une certaine manière. La
fierté de Vigny a quelque chose de puéril. Même
si son anglophilie est agréable.
Saint-John
Perse, à
partir de l’émission de Jean-Noël Jeanneney, Concordance
des temps (Christophe
Charle aurait-il intitulé son livre, Discordance
des temps,
en hommage à Jeanneney?).
La beauté de la
poésie de
Saint-John Perse
tranche avec le ridicule du personnage : sa manière de parler,
sa suffisance, sa tiédeur politique, son
conservatisme
(qu’il reste attaché aux colonies est exécrable). Le discours du
Nobel propose cependant un dépassement du
courant majeur de la
tradition occidentale : la poésie comme manière
d’être-au-monde, de com-prendre le monde, de naître avec lui.
Même
si dans l’air du temps depuis Nietzsche – ou plutôt mis en
valeur depuis lui (on le convoque ici comme jalon et symptôme) :
le Nobel entérine un état de fait, plus qu’il n’aménage des
voies nouvelles. Cette manière poétique d’être-au-monde (il
faudrait trouver une meilleure formule que ce mot composé) a
toujours coexisté avec une manière plus « scientifique »
d’être-au-monde, même si, à partir de Platon (et certainement
avant lui, déjà (on n’oserait pas proposer la sédentarisation)),
elle est minoritaire (qu’on pense aux Présocratiques ;
hypothèses
ou intuitions avancées
prudemment).
Dans son cours au Collège de France de l’année dernière,
intitulé « La composition des collectifs : formes
d’hybridation », Philippe Descola nomme
cette manière occidentale « naturaliste », qui
coexistent avec 3 autres
« ontologies » (« totémisme »,
« animisme »
« analogisme »),
l’intérêt subsistant, on l’aura compris, dans leur
compénétration.
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