mercredi 19 décembre 2018

Reliefs de la consommation culturelle, le 19 décembre 2018

Dans son adaptation de La Belle et la Bête, Jean Cocteau a ce drôle de réflexe de changer « maîtresse » en « maître » dans cette pourtant très belle réplique de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont : « Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant. — Non, répondit la Bête, il n’y a ici de maîtresse que vous. » Jean Marais, lui, répond : « Non, il n’y a ici de maître que vous. » Et pourquoi donc ?
Du reste, il n’y a bien que les femmes qu’on prive de leurs prénoms, qu’on remplace par un titre qui signale infailliblement la condescendance : Madame de La Fayette, Madame de Villeneuve, Madame Leprince de Beaumont, Madame de Sévigné ou encore Madame de Staël. Qui sait que ces écrivaines et autrices s’appellent Marie-Madeleine, Gabrielle-Suzanne, Jeanne-Marie, Marie de Rabutin-Chantal ?
Ce n’est qu’un symptôme parmi d’autres, beaucoup plus lourds (par exemple, des femmes de service me disent que les machines sont réservées à leurs collègues masculins, alors qu’elles pourraient très bien les manipuler : qui donne voix à ces gens?).

Chatterton. Il y a quelque chose d’obscène dans le fait d’écrire une telle pièce. Impudeur. Comme une complaisance à exposer son intimité. À s’y vautrer. La scène de l’abnégation est cependant très belle. Le reste est sale d’une certaine manière. La fierté de Vigny a quelque chose de puéril. Même si son anglophilie est agréable.

Saint-John Perse, à partir de l’émission de Jean-Noël Jeanneney, Concordance des temps (Christophe Charle aurait-il intitulé son livre, Discordance des temps, en hommage à Jeanneney?). La beauté de la poésie de Saint-John Perse tranche avec le ridicule du personnage : sa manière de parler, sa suffisance, sa tiédeur politique, son conservatisme (qu’il reste attaché aux colonies est exécrable). Le discours du Nobel propose cependant un dépassement du courant majeur de la tradition occidentale : la poésie comme manière d’être-au-monde, de com-prendre le monde, de naître avec lui. Même si dans l’air du temps depuis Nietzsche – ou plutôt mis en valeur depuis lui (on le convoque ici comme jalon et symptôme) : le Nobel entérine un état de fait, plus qu’il n’aménage des voies nouvelles. Cette manière poétique d’être-au-monde (il faudrait trouver une meilleure formule que ce mot composé) a toujours coexisté avec une manière plus « scientifique » d’être-au-monde, même si, à partir de Platon (et certainement avant lui, déjà (on n’oserait pas proposer la sédentarisation)), elle est minoritaire (qu’on pense aux Présocratiques ; hypothèses ou intuitions avancées prudemment). Dans son cours au Collège de France de l’année dernière, intitulé « La composition des collectifs : formes d’hybridation », Philippe Descola nomme cette manière occidentale « naturaliste », qui coexistent avec 3 autres « ontologies » (« totémisme », « animisme » « analogisme »), l’intérêt subsistant, on l’aura compris, dans leur compénétration.

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