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splendides, encore,
de Jacques Brosse sur
Merlin et Viviane (nous
ne reprenons pas ici les notes très précises de l’auteur :
« Ce
personnage énigmatique apparaît, à la lumière de travaux récents
comme un « homme des bois », lié même au « culte
des arbres ». Barde et devin, Merlin avait vaillamment combattu
les envahisseurs barbares de a Bretagne aux côtés du roi Arthur, à
qui il avait conseillé l’institution de la chevalerie et de la
Table Ronde, mais, devenu fou à la mort de ses frères et las
surtout de la société des hommes, il se retira dans la forêt de
Brocéliande, d’où il ne sortait que pour faire de sombres
prédictions sur ce monde en proie au mal. Ce mal, il ne le
connaissait que trop bien, lui que l’on disait né d’une vierge
et du Diable, mais en lui il l’avait vaincu du jour où il avait
rencontré la fée Viviane. Volontairement, après lui avoir enseigné
tout ce qu’il savait et transmis ses pouvoirs, il se soumit à elle
tout entier, au point de se laisser enfermer dans une « maison
de verre » au fond des bois. Selon Jean Markale, cette maison
de verre « est un monde clos au
milieu des bois
et enfermant dans ses murailles invisibles un Autre Monde qui est un
verger. C’est dans ce verger que la dyade, c’est-à-dire l’union
sacrée du dieu-frère et de la déesse-sœur, trouve son
accomplissement. Retirés du monde parce que vivant un amour absolu
qui, par nature, les retranche de la société, Merlin et Viviane se
suffisent à eux-mêmes. Ils reconstituent la situation primordiale
d’Adam et Eve avant le péché, c’est-à-dire avant la prise de
conscience du monde extérieur. »
Autrement
dit, se retirant d’un univers humain profané dont la décadence
est irrémédiable, Merlin et Viviane retournent ensemble à
l’origine, à l’état de nature, dans ce verger où « maîtres
des végétaux et des animaux », ils règnent, protégeant ce
qui peut être sauve-gardé et, devenus invisibles, préparant la
renaissance du sacré. Leur histoire ne nous est connue que par des
récits confus et souvent contradictoires, mais où se reflètent
cependant d’antiques croyances celtiques et même pré-celtiques,
sinon pré-historiques, ce qui explique l’embarras des écrivains
médiévau qui n’en comprenaient plus la signification, et aussi la
difficulté pour les celtisants de démêler un écheveau embrouillé
à plaisir. Mais ici nous n’avons à en retenir que deux éléments
essentiels, le lien très étroit qui rattache Merlin aux arbres et
le rôle qu’il joue dans les forêts, celui d’un initié, druide,
magicien, prophète et chaman, retiré au sein du « Jardin de
Liesse », le verger originel qui est clairement un nementon.
Merlin suit l’exemple des saints ermites, venus comme lui des îles
britanniques et qui, eux aussi descendants des druides, les
imitaient. »
Retour
sur
le poème de Ronsard, dont Jacques Brosse cite deux strophes, et
qu’Anselm
Jappe dans La
société autophage
reprend
entièrement (et il y a quelque chose de profondément réconfortant
et prometteur dans cette citation complète d’un poème renaissant
dans un livre socio-politique de critique radicale) :
Contre
les bucherons de la forêt de Gastine
Quiconque
aura premier la main embesongnée
A
te couper, forest, d’une dure congnée,
Qu’il
puisse s’enferrer de son propre baston,
Et
sente en l’estomac la faim d’Erisichton,
Qui
coupa de Cerés le Chesne venerable
Et
qui gourmand de tout, de tout insatiable,
Les
bœufs et les moutons de sa mère esgorgea,
Puis
pressé de la faim, soy-mesme se mangea :
Ainsi
puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et
se devore après par les dents de la guerre.
Qu’il
puisse pour vanger le sang de nos forests,
Toujours
nouveaux emprunts sur nouveaux interest
Devoir
à l’usurier, et qu’en fin il consomme
Tout
son bien à payer la principale somme.
Que
toujours sans repos ne face en son cerveau
Que
tramer pour-neant quelque dessein nouveau,
Porté
d’impatience et de fureur diverse,
Et
de mauvais conseil qui les hommes renverse.
Escoute,
Bucheron (arreste un peu le bras )
Ce
ne sont pas des bois que tu jettes à bas,
Ne
vois-tu pas le sang lequel degoute à force
Des
Nymphes qui vivoyent dessous la dure escorce ?
Sacrilege
meurdrier, si on pend un voleur
Pour
piller un butin de bien peu de valeur,
Combien
de feux, de fers, de morts, et de detresses
Merites-tu,
meschant, pour tuer des Déesses ?
Forest,
haute maison des oiseaux bocagers,
Plus
le Cerf solitaire et les Chevreuls legers
Ne
paistront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus
le Soleil d’Esté ne rompra la lumière.
Plus
l’amoureux Pasteur sur un tronq adossé,
Enflant
son Flageolet à quatre trous persé,
Son
mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne
dira plus l’ardeur de sa belle Janette :
Tout
devienda muet : Echo sera sans voix :
Tu
deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
Dont
l’ombrage incertain lentement se remue,
Tu
sentiras le soc, le coutre et la charrue :
Tu
perdras ton silence, et haletans d’effroy
Ny
Satyres ny Pans ne viendront plus chez toy.
Adieu
vielle forest, le jouet de Zephyre,
Où
premier j’accorday les langues de ma lyre,
Où
premier j’entendi les fleches resonner
D’Apollon,
qui me vint tout le cœur estonner :
Où
premier admirant la belle Calliope,
Je
devin amoureux de sa neuvaine trope
Quand
sa main sur le front cent roses me jetta,
Et
de son propre laict Euterpe m’allaita.
Adieu
vielle forest, adieu testes sacrées,
De
tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant
le desdain des passans alterez,
Qui
brulez en Esté des rayons etherez,
Sans
plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent
vos meurtriers, et leur disent injures.
Adieu
Chesnes, couronne aux vaillans citoyens,
Arbres
de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui
premiers aux humains donnastes à repaistre,
Peuples
vrayment ingrats, qui n’ont sceu recognoitre
Les
biens receus de vous , peuples vraiment grossiers,
De
massacrer ainsi nos peres nourriciers.
Que
l’homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô
Dieux, que véritable est la Philosophie,
Qui
dit que toute chose à la fin perira,
Et
qu’en changeant de forme une autre vestira :
De
Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et
la cyme d’Athos une large campagne,
Neptune
quelque fois de blé sera couvert.
La
matière demeure, et la forme se perd.
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