mardi 21 juillet 2015

Cosmè Tura - Saint-Georges & Annonciation (la matière comme langage)




Voilà ce que deux siècles de machinations produisent. 
Ce à quoi la vie et la mort d'une Cité ressemblent.

Ce n'est pas l'iconographie qui s'impose, mais les macérations de couleurs, la décoction des crépuscules, les bains de pigments dans la graisse et la colle d’œuf, des confusions d'ocre et d'argent, une dégringolade de dégradés, des poudres de gris, de bruns, de bleus et de verts foncés,
 le fil vermillon que tient l'écureuil au-dessus de la Vierge. Des cyans acides, des crispations et des finesses dans l'ossature, dans les mâchoires, dans les zygomas. Un parchemin de peauciers. Des transversales et des projections d'angles. Un tas de détails qui s'accumulent, se combinent et se déplacent.

Ça ne représente rien d'autre que le niveau (le degré) de civilisation atteint par Ferrare vers 1470.
 
C'est-à-dire toute l'énergie concentrée et dépensée en pure perte, sans autre finalité que d'être dépensée.
Qui est liée au nom de la famille Este, à celui d'artistes, à celui du peuple anonyme aussi, mais qui n'a pas besoin de ces référents.

Car même si on se penche un instant sur l'iconographie des planches (ce sont les volets de bois d'un orgue), que lit-on ?
Pas plus (ni moins) que ce que la matière nous dit.
Pas plus ni moins que Saint-Georges – protecteur de la Ville, celui qui rayonne par sa bravoure autant que par son armure : par tout ce qui émane de lui et par tout ce qui se reflète sur lui.
Et l'Annonciation, cette diffusion silencieuse d'une ardeur.
La thématique semble être imposée par la matière. La thématique est la matière, nécessairement mouvante et jamais inerte (malgré, parfois, son apparence).

C'est l'automne.
Une poire pèse sur une branche.

Il y a à Ferrare une obsession de la décadence. Mais c'est en fait ce silence de feu qui fait vibrer la matière et la porte juste au-delà du point culminant de sa puissance. Au début de l'apodose. Ce sont les alluvions du Pô déposées, repoussé, revenu, les marécages, les tremblements de terre et les flux humains.

La matière comme langage.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire