samedi 12 janvier 2019

Reliefs d'une consommation culturelle, le 10 janvier 2019


Les Destinées de Vigny. « La mort du loup ». Ce qu’on ne pouvait lire au lycée : le récit paraissait contraire (le paraît encore, dans une large mesure) à la poésie. La mort édifiante du loup avait quelque chose de trop spectaculaire, et par suite de trop facile. C’est toujours le cas. Malgré son héroïsme inutile (sympathique parce qu’inutile – bientôt dandy). Cette morale, qui hésite entre la révolte et le stoïcisme, qui se teinte d’une nuance assez originale de fait, entre en opposition avec les lamentations de Chatterton et avec ses larmoiements. « Le loup » date de 1838 (même s’il est daté de 1843), Chatterton de 1835. Contradiction qui est plus une richesse qu’une incohérence.

La séquestrée de Poitiers, d’André Gide. Les chroniques judiciaires de Gide sont peu lues, et même peu connues je crois. Drôle de retournement dans ce livre presque policier : alors qu’on condamnerait unanimement la famille de Mélanie Bastian pour l’avoir maintenue dans un tel état de dégradation (à plus de cinquante ans, considérée comme malade mentale, elle vivait nue, dans ses déjections, la fenêtre condamnée), le récit nous invite à relativiser notre premier élan pour considérer la possibilité qu’une telle situation n’a finalement rien de criminel, ou ne l’est pas nécessairement. C’est, du reste, ce qu’a jugé la cours de Poitiers. La « schizophrénie » de Mélanie Bastian (j’emploie le terme faute de mieux) offre, pendant les interrogatoires, des réponses d’un mécanisme passionnant, que Gide ne prend cependant pas la peine de retranscrire entièrement, et qu’il balaye comme n’ayant pas de sens. Dommage. La mort de sa mère, octogénaire, en prison parce qu’emprisonnée (nous dirions aujourd’hui « en garde à vue ») ne semble émouvoir personne (peut-être à cause de son caractère et de ce qu’elle a accepté de laisser faire). Il me semble cependant que c’est choquant.

La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils. Récit de courtisane, typique du XIXe siècle. Comme un film de genre qu’on irait voir au cinéma pour se reposer. Un peu trop facile quand même. Et puis le père avait une tout autre envergure : ses sacrifices pour couvrir la campagne des Mille de Garibaldi reste un épisode qu’on ne rappelle pas assez par exemple. On comprendra pourquoi.

En cherchant un texte sérieux sur Aliénor d’Aquitaine, on tombe sur des livres d’Yvan Gorbi et de Michel Onfray. Par curiosité : La force du sexe faible. Contre-histoire de la Révolution française. Avec toutes ses bêtises, son agressivité, ses saillies de congestionné, ouvrir un livre de Michel Onfray est difficile. Sa tête ultra-médiatique est rebutante. Il nourrit plus que ceux qu’il critique le système qu’il critique. Et puis il y a sa violence, toujours très moche. Cet essai commence – c’était immanquable – par une diatribe. Contre Robespierre. Et, à partir de lui, contre Badiou, Zizek (qui a écrit – je l’ignorais – cette phrase : « Notre tâche aujourd’hui est de réinventer une terreur émancipatrice. » qui rappelle celle, bien meilleure, bien plus franche, bien plus profonde, de Guy Debord dans Potlatch : « Ce qui manque à tous ces Messieurs, c’est la Terreur ! »), un tas de morts plus ou moins connus, et bientôt tous les Arrageois qui se sont prononcés pour la création d’un musée Robespierre dans leur ville (un musée n’est pas – ou ne devrait pas l’être – nécessairement un encensement et une glorification : la musée de la Guerre à Ypres l’illustre à merveille), qui sais-je encore… Peu importe le propos de départ, tout le monde peut se prendre une salve au passage. Loin, très loin le temps de Théorie du corps amoureux où le propos n’était pas bouffi de haine grasse. Les émissions de cet été sur Jésus, interceptées au hasard des routes estivales en voiture, avaient quelque chose de comique dans ces raccourcis dont le seul raccord était l’exécration. Dommage : un peu d’humilité et plus de bienveillance auraient rendu, sinon son œuvre, du moins son action favorable. Les prises de position dans des débats érudits (ici l’implication de Robespierre dans les exactions révolutionnaires à Nantes) se fondent toujours sur des lectures hâtives d’archives qu’il présente invariablement comme « imparables », et dont il ne donne presque jamais les références précises. Il conclue à partir de dates de discours ou de lettres, et y revoie par phatèmes son lectorat (« Allez lire, vous verrez! »). Il frôle la mauvaise foi dans sa démarche, et, plus qu’autre chose, c’est déjà fatigant. On n’est à l’opposé d’un François Furet ou d’une Mona Ozouf, qui sont pourtant ses références. Les notices, enfin, sont maladroites, par cette suite assommante d’informations factuelles qui, en l’état, sont inutilisables par les néophytes.

À lire : Varlam Chalamov.

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