jeudi 3 janvier 2019

Reliefs d'une consommation culturelle, le 3 janvier 2019

Pages splendides, encore, de Jacques Brosse sur Merlin et Viviane (nous ne reprenons pas ici les notes très précises de l’auteur :
« Ce personnage énigmatique apparaît, à la lumière de travaux récents comme un « homme des bois », lié même au « culte des arbres ». Barde et devin, Merlin avait vaillamment combattu les envahisseurs barbares de a Bretagne aux côtés du roi Arthur, à qui il avait conseillé l’institution de la chevalerie et de la Table Ronde, mais, devenu fou à la mort de ses frères et las surtout de la société des hommes, il se retira dans la forêt de Brocéliande, d’où il ne sortait que pour faire de sombres prédictions sur ce monde en proie au mal. Ce mal, il ne le connaissait que trop bien, lui que l’on disait né d’une vierge et du Diable, mais en lui il l’avait vaincu du jour où il avait rencontré la fée Viviane. Volontairement, après lui avoir enseigné tout ce qu’il savait et transmis ses pouvoirs, il se soumit à elle tout entier, au point de se laisser enfermer dans une « maison de verre » au fond des bois. Selon Jean Markale, cette maison de verre « est un monde clos au milieu des bois et enfermant dans ses murailles invisibles un Autre Monde qui est un verger. C’est dans ce verger que la dyade, c’est-à-dire l’union sacrée du dieu-frère et de la déesse-sœur, trouve son accomplissement. Retirés du monde parce que vivant un amour absolu qui, par nature, les retranche de la société, Merlin et Viviane se suffisent à eux-mêmes. Ils reconstituent la situation primordiale d’Adam et Eve avant le péché, c’est-à-dire avant la prise de conscience du monde extérieur. » Autrement dit, se retirant d’un univers humain profané dont la décadence est irrémédiable, Merlin et Viviane retournent ensemble à l’origine, à l’état de nature, dans ce verger où « maîtres des végétaux et des animaux », ils règnent, protégeant ce qui peut être sauve-gardé et, devenus invisibles, préparant la renaissance du sacré. Leur histoire ne nous est connue que par des récits confus et souvent contradictoires, mais où se reflètent cependant d’antiques croyances celtiques et même pré-celtiques, sinon pré-historiques, ce qui explique l’embarras des écrivains médiévau qui n’en comprenaient plus la signification, et aussi la difficulté pour les celtisants de démêler un écheveau embrouillé à plaisir. Mais ici nous n’avons à en retenir que deux éléments essentiels, le lien très étroit qui rattache Merlin aux arbres et le rôle qu’il joue dans les forêts, celui d’un initié, druide, magicien, prophète et chaman, retiré au sein du « Jardin de Liesse », le verger originel qui est clairement un nementon. Merlin suit l’exemple des saints ermites, venus comme lui des îles britanniques et qui, eux aussi descendants des druides, les imitaient. »

Retour sur le poème de Ronsard, dont Jacques Brosse cite deux strophes, et quAnselm Jappe dans La société autophage reprend entièrement (et il y a quelque chose de profondément réconfortant et prometteur dans cette citation complète d’un poème renaissant dans un livre socio-politique de critique radicale) :

Contre les bucherons de la forêt de Gastine

Quiconque aura premier la main embesongnée
A te couper, forest, d’une dure congnée,
Qu’il puisse s’enferrer de son propre baston,
Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton,
Qui coupa de Cerés le Chesne venerable
Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,
Les bœufs et les moutons de sa mère esgorgea,
Puis pressé de la faim, soy-mesme se mangea :
Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et se devore après par les dents de la guerre.

Qu’il puisse pour vanger le sang de nos forests,
Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux interest
Devoir à l’usurier, et qu’en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme.

Que toujours sans repos ne face en son cerveau
Que tramer pour-neant quelque dessein nouveau,
Porté d’impatience et de fureur diverse,
Et de mauvais conseil qui les hommes renverse.

Escoute, Bucheron (arreste un peu le bras )
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,
Ne vois-tu pas le sang lequel degoute à force
Des Nymphes qui vivoyent dessous la dure escorce ?
Sacrilege meurdrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts, et de detresses
Merites-tu, meschant, pour tuer des Déesses ?

Forest, haute maison des oiseaux bocagers,
Plus le Cerf solitaire et les Chevreuls legers
Ne paistront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus le Soleil d’Esté ne rompra la lumière.
Plus l’amoureux Pasteur sur un tronq adossé,
Enflant son Flageolet à quatre trous persé,
Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l’ardeur de sa belle Janette :
Tout devienda muet : Echo sera sans voix :
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
Dont l’ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue :
Tu perdras ton silence, et haletans d’effroy
Ny Satyres ny Pans ne viendront plus chez toy.

Adieu vielle forest, le jouet de Zephyre,
Où premier j’accorday les langues de ma lyre,
Où premier j’entendi les fleches resonner
D’Apollon, qui me vint tout le cœur estonner :
Où premier admirant la belle Calliope,
Je devin amoureux de sa neuvaine trope
Quand sa main sur le front cent roses me jetta,
Et de son propre laict Euterpe m’allaita.

Adieu vielle forest, adieu testes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant le desdain des passans alterez,
Qui brulez en Esté des rayons etherez,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent vos meurtriers, et leur disent injures.

Adieu Chesnes, couronne aux vaillans citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnastes à repaistre,
Peuples vrayment ingrats, qui n’ont sceu recognoitre
Les biens receus de vous , peuples vraiment grossiers,
De massacrer ainsi nos peres nourriciers.

Que l’homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô Dieux, que véritable est la Philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin perira,
Et qu’en changeant de forme une autre vestira :
De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cyme d’Athos une large campagne,
Neptune quelque fois de blé sera couvert.
La matière demeure, et la forme se perd.

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